Le grand bouleversement silencieux des développeurs
28 mars 2025
L’étude de l’ADESATT sur l’impact de l’IAG sur les conditions de travail des entreprises de la branche révèle comment elle redessine les contours du métier de développeur informatique.
Un bouleversement profond
C’est une mutation qui ne fait pas de bruit, mais qui avance vite. Depuis fin 2022, le monde du développement informatique traverse une période de turbulences profondes. Les entreprises qui, jusqu’alors, recrutaient à tour de bras peinent aujourd’hui à placer leurs profils juniors. Les projets techniques, autrefois gourmands en main-d’œuvre, semblent désormais réalisables avec des effectifs réduits. Dans le même temps, les outils d’intelligence artificielle générative se banalisent et réorganisent en silence la manière même de produire du code. Le métier de développeur, tel qu’on l’a connu ces dix dernières années, est en train de changer de nature.
C’est ce que montre avec force cette récente étude de l’ADESATT - l’Association pour le développement des études sur les transformations du travail. Publiée en mars 2025, cette enquête qualitative intitulée « Étude sur l’IA générative et les transformations du travail » s’appuie sur des entretiens approfondis avec des professionnels du développement, des dirigeants d’entreprises technologiques, ainsi que des responsables RH. Le tableau qu’elle dresse est à la fois nuancé et sans complaisance : ce n’est pas une rupture brutale, mais une recomposition accélérée, qui touche à l’organisation, à l’emploi, aux trajectoires professionnelles et au rapport au travail.
2022 : le point de bascule
Le point de bascule a lieu à l’automne 2022. À ce moment, le marché des levées de fonds se fige, les incertitudes géopolitiques se multiplient, et l’inflation commence à gripper les mécaniques d’investissement dans les jeunes pousses technologiques. Dans ce contexte déjà tendu, l’IA générative, longtemps cantonnée aux laboratoires ou aux usages marginaux, gagne du terrain. Des outils comme GitHub Copilot ne sont plus seulement des curiosités technologiques : ils deviennent des partenaires de travail quotidiens, intégrés aux workflows, capables de générer des blocs entiers de code en quelques secondes. Dans certaines équipes, jusqu’à 30 % du code écrit est désormais assisté, voire rédigé, par ces intelligences. Ce n’est plus un fantasme d’automatisation, c’est une réalité professionnelle.
Ce changement n’est pas sans conséquences. L’étude de l’ADESATT montre que le métier de développeur se polarise : d’un côté, les profils capables de conceptualiser une architecture logicielle, d’interagir avec les clients, de traduire un besoin en logique technique ; de l’autre, ceux qui exécutent, qui produisent du code sans nécessairement avoir de vision d’ensemble. Et ce sont précisément ces derniers, les “producteurs de code”, qui voient leur place se réduire. Selon plusieurs entreprises interrogées, il devient difficile, voire impossible, de justifier le recours à des développeurs juniors quand des outils d’IA peuvent prendre en charge une grande partie de leurs missions initiales.
L’IA modifie la nature du travail
Mais la transformation dépasse la simple question du remplacement. L’enquête montre aussi que l’IA générative modifie la nature même du travail. Là où le développement impliquait collaboration, échanges, répartition des tâches, il tend à se recentrer sur des figures plus isolées, capables d’aller vite, d’expérimenter, de gérer des pans entiers de projet seuls, armés de quelques interfaces d’IA. Le développeur devient un opérateur augmenté, mais aussi un travailleur plus solitaire, souvent livré à lui-même face à des outils qu’il n’a pas choisis, et dont il ne maîtrise pas toujours les logiques.
Face à cette situation, les entreprises adoptent des stratégies très variables. Certaines, souvent les plus petites, restent à l’écart, par prudence ou par manque de moyens. D’autres testent, expérimentent, sans toujours savoir où cela les mène. Une minorité enfin, plus structurée, investit dans des dispositifs internes, forme ses équipes, met en place des chartes d’usage, développe ses propres outils. Mais dans tous les cas, l’étude pointe un manque de régulation, d’accompagnement, de réflexion sur les effets à moyen terme. Le sujet est souvent technologique. Il devrait être profondément organisationnel.
Au fond, c’est moins le code que le sens du travail qui se trouve interrogé. Si l’IA prend en charge les tâches simples, comment apprendre à coder ? Comment former les nouveaux entrants si on ne leur confie plus les missions qui permettent de progresser ? Quel type de compétence devient centrale dans un environnement où le code n’est plus le cœur de la valeur ajoutée ? À travers l’exemple du développement, c’est une question plus large qui se dessine : celle de l’intégration de l’IA dans les chaînes de travail, non pas comme un gadget, mais comme un acteur à part entière de la production.
L’étude de l’ADESATT ne cherche pas à dramatiser. Elle propose une lecture informée, sensible, ouverte. Mais elle lance un avertissement clair : si les entreprises ne prennent pas la mesure des transformations en cours, elles risquent de subir un changement qu’elles auraient pu anticiper, encadrer, accompagner. Le métier de développeur n’est pas en train de disparaître. Il est en train de se réinventer, parfois sans que ses premiers concernés en aient vraiment le choix.
L’étude complète est accessible en ligne en cliquant ici